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« Ce blog est une façon de prolonger le travail réalisé lors de la première vague du Corona Virus,
un journal sous tension, sur l’avancée de la pandémie » 

Karine Lacombe

Le 15 décembre 2020

Le Billet de Karine Lacombe #3

Je me suis glissée sans bruit au fond de la salle. Par les fenêtres grises de ce 8e étage, on voit s’effilocher les nuages dans le mordant du vent. Un souvenir résonne soudain en moi, une effraction dans mon attention qui ne demande qu’à s’évader très loin, le manque de repos, de vacances, de distance. Juste quelques heures d’exotisme pour penser à l’ailleurs, un autre temps, une autre géographie, où le virus n’aurait pas fait sa niche. Ce souvenir qui me broie, alors que je devrais écouter Philippe, notre psy qui débriefe l’équipe de psychologues de l’hôpital, c’est juste un morceau de plage, une étendue infinie de sable et des vagues qui s’y cassent. Du vent, une bouffée d’embruns, ces mêmes nuages qui s’effilochent ici et là-bas, je respire. Souffler, maîtriser cette lassitude au cœur de décembre, cette lassitude du travail sans fin, du sommeil contrarié. « C’est une aporie. » Ces mots me percutent, c’est Philippe qui les prononce. « Une aporie, explique-t-il, c’est une somme d’injonctions contradictoires qui forment une grande interrogation à laquelle nul n’a de réponse. » Et il ajoute à l’attention des psychologues présentes : « ces questions que l’on vous pose, nul n’en a la réponse, et c’est cette absence de solution qui crée la dépression. »

Mon attention a quitté la mer, je regarde ces femmes et ces hommes qui, tous les jours depuis l’arrivée de l’épidémie à l’hôpital, parcourent les couloirs, les services, les étages, parlent au personnel de soins ou de support, posent une main sur un poignet, écoutent les silences de chacun, recueillent les larmes, la colère, essaient de nouer des liens solidaires entre tous. Je suis venue les voir ce matin pour échanger sur l’évolution de l’épidémie, maintenant que cette deuxième vague est quasi derrière nous, même si les traces qu’elle laisse en se retirant sont encore bien visibles. Et je suis venue leur dire aussi combien leur rôle est essentiel en ce moment crucial où les soignants sont fatigués. Pas de cette fatigue qui pousse au lit le soir et vous endort d’un seul tenant, qui vous aspire dans un grand trou noir d’où vous ressortez le matin un petit sourire aux lèvres. Non, cette fatigue qui nous étreint est celle des angoisses accumulées, des nuits au sommeil fracturé par les pensées désordonnées, la fatigue de la tachypsychie, cet état d’hypervigilance permanente où l’esprit en alerte ne trouve aucun repos. On aimerait des réponses à l’addition de nos interrogations, on déteste l’impuissance, on déteste l’aporie.

Florence, la psy en charge plus spécifiquement du service des urgences, est en colère, ses yeux sont noirs, ses mains volent quand elle parle, vite, les mots s’entrechoquent et se mélangent. « De toute façon, la souffrance à l’hôpital ne date pas du Covid, dit-elle brutalement, l’épidémie ne fait qu’amplifier des années d’indigence, de restructurations, de fusion de services dont le sens échappe à tous sauf à ceux, là-haut, qui les décrètent. Moi, quand je passe dans les services, on ne me parle pas du Covid, on me parle des plannings sans cesse modifiés, des bras qui manquent car le recrutement est difficile, tant de postes sont vacants à l’hôpital public, un salaire bien bas pour des heures épuisantes. Le Ségur de la Santé, mais qu’est-ce que cela veut dire, quelques dizaines d’euros en mars l’année prochaine ? » Elle s’interrompt, les autres murmurent. La prime Covid que chacun a reçue en juillet est déjà bien loin dans les souvenirs, car après cette deuxième vague, il y en aura une troisième avec la perspective de Noël et l’impact prévisible du déconfinement quelle qu’en soit la forme sur la courbe épidémie, et pourquoi pas une quatrième… Cette succession de vagues leur enlève toute perspective de fin. Tout à coup je suis étonnée que personne ne parle de la vaccination ? La vaccination comme réponse à l’aporie ! La semaine dernière, les premiers résultats tant attendus des nouveaux vaccins ont été rendus publics dans les journaux scientifiques et sur le site de l’Agence de Régulation du Médicament aux États-Unis. Certains s’en réjouissent, d’autres les vouent aux gémonies. « Et vous, je leur demande, ne pensez-vous pas que l’arrivée des vaccins, une fois la preuve de leur sécurité d’emploi, devrait changer la donne, résoudre l’aporie ? ! » Philippe sourit. La vaccination est un sujet clivant : le vaccin contre la grippe réhabilite à l’hôpital le système de castes : médecins très vaccinés/personnel soignant moyennement vacciné/personnel technique peu vacciné. Depuis une semaine, dans le cadre de cette cellule de crise que dirige Jennifer, notre chef de bord (plus prosaïquement appelée directrice médicale de crise), nous phosphorons sur la mise en œuvre pratique de la vaccination à l’hôpital : qui, où, quand ?

 

« Ah oui, parlons-en des vaccins, pourquoi, comment, avec quoi ? » C’est Jeanne que l’on n’avait pas entendue qui m’abreuve de questions. Je n’ai pas encore toutes les réponses, mais je les sens déjà qui se projettent. Le brouhaha, interrogateur, ne vibre plus de colère ou d’inquiétude, j’entends même des amorces de rire. Je n’ai qu’un pas à faire pour gagner le couloir, les internes m’attendent pour un cours, des nuages à l’aporie, mon esprit se cale en mode survie. Et voilà qu’Amina sort de la salle, pose ses mains sur mes épaules et me demande : « comment ça va, toi ? » Avec cette pression sur les épaules et ce regard franc où je me perds. Comment ça va, moi ? Moi, j’entends le bruit du ressac. En fermant les yeux très forts où se collent mes cils aux larmes, je suis à la pêche à pied et je cherche la crevette grise en raclant le fond de la mer de mon épuisette de toile à Villerville. Et mon grand-père me crie, avec ce fort accent espagnol, « pas trop au fond, tu vas ramener des coquilles ». Au-dessus de moi, le vent siffle et les nuages s’effilochent.

 Karine Lacombe

Karine Lacombe nous ouvre les portes de son service d’infectiologie à l’hôpital Saint-Antoine. Depuis mars, elle et son équipe sont confrontés à un virus qu’ils n’avaient jamais vu sous leur microscope : le Covid-19. Comment se prépare-t-on au combat ? Comment organise-t-on son service ? Quelles sont les péripéties du quotidien ? Y-a-t-il une différence quand on trouve un article défini au féminin devant le nom de sa profession, médecin ?

192 pages • Format : 161 x 215 mm • EAN : 9782234091061 • Prix :  18.50 €

Le 26 novembre 2020

Comment chasser le Corona : le point sur les thérapies

Extrait du blog de Fiamma Luzzati, L’Avventura, sur Le Monde.fr :

Le 1er décembre 2020

Le Billet de Karine Lacombe #2

C’est une brume fine d’hiver qui recouvre Paris, alors que précipitamment je jette mon vélo contre le mur de l’hôpital, frigorifiée d’avoir traversé toute la banlieue est sans gants, le nez dans mon écharpe, mes pensées déjà dans ma consultation à venir. Le mardi est le jour de la semaine que je préfère : toute la matinée, je reçois mes patients pour leur visite semestrielle, qui pour une infection par le VIH, qui pour le suivi de son hépatite B chronique. Pourtant ces derniers mois, ce moment si privilégié du « colloque singulier » entre le médecin et son patient a volé en éclat sous la pression de la Covid-19. Lors de la première vague épidémique, nous avons fermé précipitamment notre secteur de consultation (dit « ambulatoire ») pour redéployer le personnel paramédical en hospitalisation conventionnelle afin de faire face à l’afflux sans fin des malades. Nous n’avons accueilli que les urgences infectieuses et effectué les quelques rares consultations non reportables par téléphone, pour maintenir un lien, bien que ténu, avec les plus fragiles de nos patients, les migrants sans papiers, les travailleuses du sexe, les usagers de drogue…

Maintenant que la pandémie a pris un autre visage, plus « marée montante » que tsunami, la gestion médicale de la Covid-19 est entrée dans une certaine routine, et nous repérons très vite les patients à risque d’aggravation rapide. Les gestes sont précis, techniques, le matériel ne connaît plus de pénurie, la surblouse, le masque omniprésent, les lunettes protectrices, plus rien ne semble hors norme. Et c’est avec un certain rituel que je commence ma consultation, un rapide bonjour à toute l’équipe, un café tassé au secrétariat, j’ouvre mes logiciels de consultation, ma première patiente.

Elle arrive avec son bébé né juste avant le début de l’épidémie, « Heureusement Docteur, sinon j’aurai accouché avec un masque et Mireille-Mathieu n’aurait jamais su qui était sa maman ! » me dit-elle dans un grand éclat de rire ! En cette Journée Mondiale de Lutte contre le Sida, je suis heureuse de voir que ma patiente infectée par le VIH, sous trithérapie, a pu concevoir naturellement ce joli bébé. Une petite fille enjouée, avec qui je joue des yeux et des doigts pour compenser la présence du masque sur ma bouche. Ordonnance renouvelée, des nouvelles de la famille au pays (elle vient du Cameroun, tout le monde va bien là-bas, merci Docteur !), et ma deuxième patiente arrive.

Elle est médecin comme moi. Cette fois, pas de VIH, mais une histoire en écho de la pandémie. Appelons-la Sophie, la petite quarantaine, portant sur ses épaules frêles une fatigue traînante. Je la vois qui passe la porte les yeux cernés, le souffle court. Elle n’a pas repris le travail depuis qu’elle a déclaré une Covid-19 en avril il y a 7 mois, probablement contaminée lors d’une visite à domicile : toute une famille malade, elle avait fait hospitaliser le grand-père. Sophie n’a pas développé de symptômes importants, au plus un peu de fièvre, des courbatures, et une fatigue. Mais une fatigue… une fatigue qui, insidieusement, a infiltré tous les recoins de sa vie de médecin, de maman, de femme. Qui a débordé son moral, noyé son corps dans un refus de tout, de manger, de marcher, de penser. Depuis sept mois, Sophie traîne dans son sillage une envie de rien. Ce syndrome dépressif qui n’a pas vraiment de substrat m’interpelle, m’interroge. Nous avons fait beaucoup d’examens, mais rien de patent n’explique son état actuel, elle n’a pas développé d’anticorps protecteurs bien que sa Covid-19 ait été prouvée sur le plan virologique, la PCR était positive dans le nasopharynx en avril. La fièvre a disparu, tout comme les douleurs articulaires, mais la fatigue a persisté. Et avec la fatigue, tout un cortège de symptômes flous, des maux de tête, un sommeil troublé, une sensation diffuse de n’être plus bonne à rien. Nous parlons longtemps, bien plus longtemps que la durée habituelle d’une consultation. Être médecin en temps de Covid-19, au-delà des mains qui examinent, c’est également cela, avoir une oreille qui écoute, et qui cherche derrière les mots ce que l’on appelle maintenant « le covid long ». Nous avons encore tant à découvrir de cette infection aussi diverse dans son expression et ses conséquences qu’il y a de patrimoine génétique dans notre humanité. Quand Sophie part, avec des séances de kiné douce, un conseil de suivi psychothérapique, et une ordonnance pour un bilan complet en hôpital de jour, je pose mes deux mains sur ses épaules. Et pour un bref moment, rejoins avec empathie cette femme tant envahie par la lassitude. Faire passer par mes mains de médecin toute cette humanité et cette compassion envers la souffrance de l’autre, je me dis à cet instant précis que c’est exactement là que mon métier puise son sens.

 Karine Lacombe

Karine Lacombe nous ouvre les portes de son service d’infectiologie à l’hôpital Saint-Antoine. Depuis mars, elle et son équipe sont confrontés à un virus qu’ils n’avaient jamais vu sous leur microscope : le Covid-19. Comment se prépare-t-on au combat ? Comment organise-t-on son service ? Quelles sont les péripéties du quotidien ? Y-a-t-il une différence quand on trouve un article défini au féminin devant le nom de sa profession, médecin ?

192 pages • Format : 161 x 215 mm • EAN : 9782234091061 • Prix :  18.50 €

Le 20 novembre 2020

Et si le coronavirus s'incruste chez vous ?

Extrait du blog de Fiamma Luzzati, L’Avventura, sur Le Monde.fr :

Le 20 novembre 2020

Le billet de Karine Lacombe #1

Quel défi fantasque que de publier notre récit graphique, La Médecin, en ce début novembre 2020, alors que pour la deuxième fois de notre vie de citoyen, nous vivons l’expérience douloureuse du confinement, que pour la deuxième fois dans notre vie de lecteur, nous subissons la fermeture des librairies dont on dit qu’elles ne font pas partie de ce qui est essentiel à notre vie quotidienne.

Quel défi aussi pour un médecin comme moi, infectiologue, d’affronter pour la deuxième fois une vague de Covid-19 violente et d’évolution imprévisible, d’abord sous la forme d’un tsunami au printemps, puis cette fois à l’automne d’une marée montante dont on ne connaît pas l’étiage.

C’est dans un monde bouleversé où, avec la fuite du temps confiné nous perdons nos repères, que nous avons posé ce jalon qu’est l’histoire de la Covid-19 illustrée par Fiamma Luzzati. En immersion à l’hôpital St Antoine, avec nous les soignants et tout le personnel hospitalier, mais également avec les patients, elle a su montrer dans notre BD la fraternité, l’appréhension, la solidarité, la colère, tous ces sentiments mêlés qui sont notre humanité. Et parce qu’il est justement chaotique en ce moment de faire des livres, nos solitaires compagnons de confinement (achat en ligne quelque peu déshumanisé, livraison parfois aléatoire, clique et collecte réservée aux grandes villes), nous avons décidé de créer ce blog pour accompagner ceux d’entre vous qui peuvent déjà en parcourir les pages, pour accompagner également ceux d’entre vous qui ne peuvent à ce jour qu’imaginer ce qu’est le livre et vous donner envie d’en tourner les pages d’une main fébrile, comme à chaque fois que l’on ressent ce picotement au cœur pour un livre que l’on a tant attendu.

Chaque semaine, je partagerai avec vous une anecdote de nos jours à l’hôpital, le devenir d’un patient, les parenthèses dans ma vie de femme et de maman, mais aussi les espoirs et les déceptions dans l’avancée de la science, ce fameux vaccin, les médias, et mes réflexions sur le vivre ensemble mis à mal et en même temps glorifié. Fiamma m’y rejoindra à la faveur d’un dessin parfois grave, souvent espiègle, mais au ton toujours juste et qui parsèmera ce blog comme autant de petits cailloux blancs sur le chemin de la « vie d’après ».

À très vite pour parler de Jérémie, infecté – réinfecté, ou encore de Lolita, qui traîne depuis cinq mois une maladie qui n’a pas de nom en dehors de « Covid long ». Et je suis également sûre que dans mon prochain billet, nous pourrons voir à l’horizon l’image brumeuse du déconfinement…

Karine Lacombe

Le 16 novembre 2020

Le dessin de Fiamma Luzzati #1

Karine Lacombe nous ouvre les portes de son service d’infectiologie à l’hôpital Saint-Antoine. Depuis mars, elle et son équipe sont confrontés à un virus qu’ils n’avaient jamais vu sous leur microscope : le Covid-19. Comment se prépare-t-on au combat ? Comment organise-t-on son service ? Quelles sont les péripéties du quotidien ? Y-a-t-il une différence quand on trouve un article défini au féminin devant le nom de sa profession, médecin ?

192 pages • Format : 161 x 215 mm • EAN : 9782234091061 • Prix :  18.50 €
 
 

Les auteures

Karine Lacombe

Karine Lacombe est professeure, infectiologue et cheffe de service à l’hôpital Saint-Antoine (Paris). Elle est notamment en charge de la recherche thérapeutique à partir du plasma des personnes guéries du Covid-19.

Fiamma Luzzati

Fiamma Luzzati est une dessinatrice et scénariste d’origine sicilienne. Elle tient le blog scientifique L’avventura sur lemonde.fr et a publié deux bande-dessinées, Le cerveau peut-il faire deux choses à la fois (2015, Delcourt) et La femme qui prenait son mari pour un chapeau (2016, Delcourt).

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